Muni·e·s des outils de spécialistes des sols, les pédologues, des élèves viennent découvrir de quoi est composée la terre dans laquelle les arbres s’enracinent. Pour cela, iels plongent directement au cœur d’une fosse pédologique.
Le but de cet atelier est d’expliquer que la terre qui compose le sol est une rencontre intime, c’est-à-dire moléculaire, entre le monde minéral (roches et sédiments) et le monde organique (toute matière issue du vivant, par exemple feuilles mortes, brindilles, etc.). Le mélange de ces deux matières est possible grâce aux nombreux êtres vivants qui peuplent les sols, notamment sous nos latitudes, grâce au lombric (Lombricus terrestris).
Les participant·e·s apprennent à décrire un sol et à établir sa carte d’identité. Iels découvrent quels sont les paramètres qui en contrôlent la formation et explorent toute la diversité que la terre peut arborer.
Enjeux autour de la protection des sols
Au Bois de la Chapelle, les citoyen·ne·s peuvent venir librement. Ce bois est une forêt d’accueil et pour que la promenade se fasse en toute sécurité, les gardes forestiers doivent ponctuellement faire des coupes dans le but d’éviter les accidents. Ces coupes impliquent l’utilisation de machines lourdes ayant un impact direct sur le sol sous-jacent. Elles y engendrent un tassement.
Mais il n’y a pas que les machines lourdes qui créent du tassement. Le piétinement par mes promeneur·euse·s a aussi un impact non négligeable.
Pourquoi le tassement est-il un problème?
Le tassement des sols est un problème majeur sur le long terme et reconnu en Suisse. Il peut être plus ou moins important selon la cause (piétinement ou machine lourdes). Un compactage du sol superficiel réduit surtout les taux d’infiltration de l’eau et augmente les risques d’inondation et d’érosion (perte du sol superficiel et donc de la partie la plus fertile). Un tassement du sous-sol peut causer la stagnation de l’eau, ce qui favorise des conditions anoxiques (sans oxygène) dans le sol, qui à leur tour favorisent la production de gaz à effet de serre tels que le méthane (CH4) et le dioxyde d’azote (N2O). L’enracinement et d’autres fonctions du sol telles que le stockage d’eau et d’éléments nutritifs sont aussi perturbés à long terme par le tassement du sol superficiel et du sous-sol.
Réfléchir à cohabiter
Dans un tel contexte, il faut inviter les élèves à réfléchir. Iels doivent apprendre l’importance du sol et de ses nombreuses fonctions et faire le constat que les usagers humains, par l’utilisation de la forêt, induisent le tassement des sols lors du piétinement et l’utilisation de machine lourde.
Qu’ont-iels observé ?
Muni·e·s de leurs outils et armés de leur réflexion, les élèves de deux classes de 3M du Gymnase de Chamblandes ont donc initié une inspection minutieuse des sols forestiers du Bois de la Chapelle. Dans ce cadre, une tranchée pédologique a été ouverte dans le but d’étudier un profil de sol et de mettre en évidence un gradient de tassement. Pour comparer les données obtenues lors de cet exercice au reste des sols présents dans le bois, de multiples sondages répartis sur une partie du territoire d’étude ont ensuite été effectués par leurs soins.
La fosse pédologique étudiée et les opérations menées ont conduit les élèves à faire la distinction entre une couche de litière et 5 horizons successifs. La litière est caractérisée par la présence de débris organiques d’origine variée et de couleur sombre, qui présentent différents niveaux de dégradation. Le premier horizon sous-jacent, étant organo-minéral et de texture limoneuse à limono-argileuse, est épais de 1 cm. Il montre par sa couleur foncée et sa structure grumeleuse une forte teneur en matériaux organiques incorporés. Le deuxième horizon, épais de 5 cm, montre une texture et une structure semblable au premier horizon. Il s’en distingue par une plus faible quantité de matière organique qui est traduite par un éclaircissement de sa teinte. Le troisième horizon, de couleur ocre, montre une très faible teneur en matière organique. Sa structure est polyédrique et sa texture est limoneuse. Le quatrième horizon est marqué par un changement soudain de la texture qui y devient sablo-limoneuse. Enfin, le cinquième horizon de texture à dominance sableuse est rapporté à la couche géologique présente in-situ étant issue de la molasse marine du Burdigalien. Ces informations ont été retranscrites sur une fiche pédologique, étant une sorte de carte d’identité du sol étudié.
Chaque horizon a été testé à l’acide chloridrique (HCl 0.5 M) pour y vérifier un éventuel dégazage de gaz carbonique (CO2) distinguable sous forme d’une effervescence visuelle ou audible de l’échantillon, traduisant directement la présence de carbonates. Cependant, aucune trace de carbonates n’a pu être observée sur l’ensemble du profil, permettant aux élèves d’en déduire que le pH du sol devait être acide, sans toutefois pouvoir en mesurer la valeur précise.
Les huit sondages effectués dans le but de comparer la diversité des sols au sein du Bois de la chapelle et dans la zone étudiée montrent une composition semblable à celui dont le profil a été étudié. Cependant, deux sondages font exception (sondage 3, carnet vert et sondage 1, carnet bleu). Le premier d’entre eux montre une différence par une teneur en argiles plus élevée que dans les autres. Le deuxième se distinguant de tous les autres par une riche teneur en argiles et une couleur bleu-grise, suggérant une pédogénèse issue d’un matériel parental différent. Ces deux sondages, étant également les plus éloignés des autres effectués et du profil, ont été considéré par les élèves comme étant influencés par des dynamiques intrinsèques différentes et étant fonction de leurs conditions édaphiques (caractéristiques physico-chimiques du sol), qui peuvent être rapportées à la présence d’une géologie, d’une topographie, ou d’une végétation différente.
Place à la réflexion sur la protection des sols !
En fin d’atelier, la question de la protection des sols a été ouverte aux élèves. Grâce à l’intervention de M. Crisinel du service des forêts, les élèves ont pu comprendre les enjeux et la complexité autour de la gestion des ressources naturelles au Bois de la Chapelle. Comme précité, cette forêt qui appartient à la commune d’Epalinges est une forêt dite d’accueil. Elle reçoit donc de nombreux visiteur.euse.s, qui viennent s’y ressourcer, se balader ou, comme les élèves, qui viennent l’étudier. Ainsi, pour assurer la sécurité de toutes et tous, des coupes de bois y sont nécessaires, cela a des implications sur la qualité des sols. Ils subissent un tassement plus ou moins important à cause du piétinement par les visiteur.euse.s et/ou à cause du passage des machines lourdes. Quoi de mieux pour la suite que de présenter les fruits d’une mûre réflexion entreprise par ces élèves et par leurs propres mots ? :
Le tassement induit une déstructuration du sol et le rend plus compacte. La porosité, la quantité de vides, diminue et les fluides, comme l’air et l’eau, y circulent moins bien. L’eau aura donc plus tendance à ruisseler et donc emportera la matière avec elle. C’est l’érosion. Nous pouvons donc aisément faire ces constats sur le terrain, en observant les chemins devenus grisâtres, car ayant perdu les couches organiques de surface, et s’enfonçant par rapport aux bords, formant des rigoles. Ces phénomènes altèrent la qualité des sols et ces derniers perdent leurs fonctions, notamment celles de stockeur de nutriments, de filtreur d’eau, de support et d’habitat pour le vivant.
8 propositions ont ensuite été faites de manière autonome par ces mêmes élèves pour parer ce problème :
1) Utiliser le bois mort pour obstruer certains passages.
2) Laisser le bois mort dans la forêt pour permettre un apport en biomasse.
3) Utiliser les copeaux (provenant des arbres abattus dans la forêt) pour signaliser les chemins.
4) Là où il y a le plus de passage, mettre des chemins sous forme de plateformes surélevées.
5) Mettre des panneaux qui signalisent et informent pour sensibiliser à l’écologie.
6) Certaines zones doivent devenir inaccessibles (signalisations et informations).
7) Proposer deux circuits qui seront empruntés selon un tournus pour permettre aux sols de se régénérer.
8) Créer un jardin/forêt participatif où des ateliers pédagogiques pourraient avoir lieu (sur les sols, les plantes sauvages, etc.). Ceci permettrait de créer un lien entre les usagers humains et non-humains et permettrait de voir la forêt non comme un décor, mais comme un assemblage d’habitats et d’habitants très variés. Il y aurait un échange.
Et ensuite… ?
Le Bois de la Chapelle constitue un lieu qui a le potentiel de faire cohabiter les différents usager.ère.s (humains et non-humains) de la forêt. Les ateliers sur les sols menés au Bois de la Chapelle permettent et permettront de produire des documents qui ont pour but d’être valorisés. Les participant.e.s y acquièrent les connaissances nécessaires sur le sol et comprennent que leur protection est un point crucial pour nos sociétés. Les futurs groupes qui iront explorer la diversité des sols en ce lieu auront accès aux résultats produits et devront choisir des points de sondage en conséquence. Au fil du temps, la multiplicité des points sondés donnera une idée toujours plus précise de la diversité des sols s’y trouvant et, à terme, il sera possible d’en élaborer une cartographie.
Il est clair, du point de vue des élèves qui participent à cet atelier et par les propositions qui s’émanent de leurs réflexions, que les sols doivent être encore mieux préservés et mieux pris en compte. Les propositions ont d’ailleurs pour ambition d’être des points de départ menant à des échanges entre les élèves et les professionnel.le.s de la forêt dans le but de la préserver, élément vital car ne l’oubliez pas, le Bois de la Chapelle c’est aussi la maison de nombreux êtres vivants !