Le projet S’enforester

HISTORIQUE

Au départ, il y a la réalité concrète d’un consensus scientifique sur l’urgence de la situation climatique et les bouleversements majeurs qu’elle annonce. Les scientifiques du GIEC concluent avec force, de la masse des données recueillies sur le terrain, que le développement des sociétés modernes s’est accompli à un rythme et par des moyens qui mettent en danger l’équilibre du système Terre et que le mode de vie moderne doit être repensé.

Les autorités politiques en ont pris acte et l’Agenda 2030 de l’ONU définit les principes d’un développement durable au sein duquel l’éducation joue un rôle central. En Suisse, la stratégie de la Confédération en matière d’éducation au développement durable (EDD) est de soutenir la transversalité de la démarche pédagogique, tant au niveau de l’école obligatoire (éducation21) qu’au secondaire II.

C’est dans ce contexte qu’est né le projet S’enforester – Écosystème pédagogique. Le but premier des enseignant.e.s porteur.euse.s du projet est de sensibiliser les élèves à la problématique des 9 limites planétaires en utilisant les moyens de l’enseignement en plein air et de la leçon de choses sur des écosystèmes naturels – une forêt, initialement.

ESSENCE DE S’ENFORESTER

S’enforester ce n’est pas seulement se promener en forêt, c’est suivre la piste de possibles rapports sociaux avec elle, suivre le fil ténu et souvent invisible qui pourrait tramer quelque relation diplomatique avec elle, comme avec un lac, une montagne, une rivière, un pré, ou comme avec les vivants qui les habitent. C’est une manière d’être sociable qui n’existe pas encore, ou plus, ou trop rarement et qui gagnerait, croyons-nous à s’étendre. S’enforester consiste à penser comme une forêt, ou une montagne (Leopold, 1944) ou un pré (Ponge, 1971) ou du moins à chercher comment cela se pourrait.

Le choix du terme « S’enforester » pour nommer le collectif vient de la lecture de Baptiste Morizot, qui l’emprunte lui-même au vocabulaire des coureurs des bois du Québec. Voici comment il l’entend :

S’enforester, c’est une double capture restituée par le pronominal : on va autant dans la forêt qu’elle emménage en nous. S’enforester n’exige pas une forêt au sens strict, mais simplement un autre rapport aux territoires vivants : le double mouvement de les arpenter autrement, en se branchant à eux par d’autres formes d’attention et de pratiques ; et de se laisser coloniser par eux, se laisser investir, les laisser emménager dedans.

Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Arles, Actes Sud, 2018 : 25

Voir l’entretien “Comment vivre parmi les autres?” sur France Culture

PRINCIPES D’ENFORESTEMENT

Être au grand air – S’enforester c’est entrer dans le dehors, en rapport avec un monde entièrement habité, c’est y prendre place en voisin, étranger ou familier, d’autres vivants. Marcher, écouter, sentir, s’orienter, observer, deviner, imaginer, hors les murs, hors connexion mais branchés à tout ce qui existe par soi-même.

Être « au grand air », c’est aussi être sur terre, redevenu terrien, ou terrestre comme dit Bruno Latour. Le grand air qu’on inspire et qui nous entoure, par le miracle ancien de la photosynthèse, c’est le produit des forces respirantes des prairies et forêts qu’on arpente, et qui sont le don des sols vivants que l’on foule : le grand air est l’activité métabolique de la terre. L’environnement atmosphérique est vivant au sens littéral : il est l’effet du vivant et le milieu que le vivant entretient pour lui, pour nous.

Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Arles, Actes Sud, 2018 : 23

Concerter les disciplines (naviguer de conserve) L’enforestement des disciplines consiste à faire se croiser les points de vue sur un objet vivant, sur un mode d’être (être forêt, être cours d’eau…) en ayant recours, en principe, à toutes les disciplines que compte le plan d’étude des établissements secondaires. Toutes les branches du programme, rattachées à un tronc commun vivant, entretiennent une relation pertinente avec le dehors, avec ce qui  se tient par soi-même dans le monde.

Faire écosystème, un collectif à composition variableS’enforester a pour ambition plus élevée de dépasser, dans l’idée même d’éducation au grand air, cette sorte de rapport à « la nature » qui tient à distance, qui fait de l’environnement un décor, un cyclorama, qui fait écran pour l’observateur. Nous souhaitons que le collectif ne se constitue pas que d’humains, ni seulement de vivants organiques, mais contribue à tracer une esquisse d’une de ces sortes de parlements où tout être a voix au chapitre. C’est dans cette perspective que nous souhaiterions faire souche, en particulier en donnant corps et en partageant des outils pédagogiques, des types de dispositifs, des espaces de réflexion et de dialogues, des manières d’actionner une intelligence collective environnementale.